Je vous ai choisi un poème que j'aime beaucoup. J'aime tout dans ce poème: son rythme et sa musicalité, la colère et la révolte qu'il exprime, la douleur et l'amertume qui s'en dégagent... Je le trouve très touchant en rendant avec franchise toute la déception que cette vie peut inspirer et faire connaître à l'homme.
C'est un poème de Victor Hugo, extrait de son recueil LES CONTEMPLATIONS (Recueil écrit à la suite du naufrage ou sa fille Léopoldine a péri) . Appréciez les prouesses verbales de Hugo, des prouesses qui se conjuguent pourtant avec une simplicité du vocabulaire et une sobriété du langage. Régalez-vous.
Veni, vidi, vixi (Je suis venu, j'ai vu, j'ai vécu) |
J'ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs Je marche, sans trouver de bras qui me secourent, Puisque je ris à peine aux enfants qui m'entourent, Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs; Puisqu'au printemps, quand Dieu met la nature en fête, J'assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour; Puisque je suis à l'heure où l'homme fuit le jour, Hélas! et sent de tout la tristesse secrète; Puisque l'espoir serein dans mon âme est vaincu; Puisqu'en cette saison des parfums et des roses, O ma fille! J’aspire à l'ombre où tu reposes, Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vécu. Je n'ai pas refusé ma tâche sur la terre. Mon sillon ? Le voilà. Ma gerbe ? La voici. J'ai vécu souriant, toujours plus adouci, Debout, mais incliné du côté du mystère. J'ai fait ce que j'ai pu; j'ai servi, j'ai veillé, Et j'ai vu bien souvent qu'on riait de ma peine. Je me suis étonné d'être un objet de haine, Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé. Dans ce bagne terrestre où ne s'ouvre aucune aile, Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains, Morne, épuisé, raillé par les forçats humains, J'ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle. Maintenant, mon regard ne s'ouvre qu'à demi; Je ne me tourne plus même quand on me nomme; Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un homme Qui se lève avant l'aube et qui n'a pas dormi. Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse, Répondre à l'envieux dont la bouche me nuit. O Seigneur! ouvrez-moi les portes de la nuit, Afin que je m'en aille et que je disparaisse! |
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